Syndic de copropriété : Du bricolage à la gestion en patrimoine
Le décret d’application de la loi Alur qui vient de paraître est essentiel pour les quelque 20 millions de Français qui vivent dans les quelque 8,5 millions de logements sous le régime de la copropriété. Il définit un ensemble de prestations que le syndic devra accomplir et pour lequel il sera rémunéré par un forfait, simple, limpide, comparable à celui d’un autre syndic pour faciliter le choix. Cette nouvelle méthode de facturation fait couler beaucoup d’encre : faut-il s’attendre à des augmentations d’honoraires ? La loi sera-t-elle appliquée ?
En effet, le changement est de taille: depuis la libération des honoraires des syndics professionnels aux termes de l’ordonnance de 1986, la pratique consistait à définir des prestations de base, souvent étique (sans h), facturées un petit prix, et de les compléter de prestations annexes payées par des lignes d’honoraires annexes. Tout le monde s’accommodait de ce marché de dupes, qui donnait le sentiment d’un prix bas au départ de la relation commerciale, bien vite réajusté par des adjonctions indispensables. Oui, la communauté des syndics a manqué en 1986 de courage commercial, mais les mentalités n’étaient pas prêtes: le public aurait dû être éduqué. Pis: quand certains professionnels sans éthique (avec h) allaient chercher auprès d’entreprises sous-traitantes de la copropriété des rémunérations occultes, leurs clients fermaient les yeux… Ce serait toujours ça qu’ils ne paieraient pas.
J’ai le souvenir intact des copropriétaires du grand syndic niçois Vigié, convaincu de pratiques indélicates au début des années 90, interviewés sur la Promenade des Anglais: ils condamnaient fermement le principe, mais regrettaient qu’ « un bon syndic pas cher » -dixit- soit inquiété par la justice. Schyzophrénie.
D’abord, l’opération vérité qui n’a pas eu lieu en 1986 ne peut plus être différée. Il en va de l’équilibre économique des cabinets. Le prix des forfaits doit être en gros l’addition de ce qu’étaient les honoraires de base et des honoraires annexes, alors que beaucoup croient que la négociation va prendre pour point de départ la facturation de base seulement. Il faut même s’attendre à une augmentation par-dessus tout cela, la loi Alur ayant assigné au syndic plusieurs missions nouvelles.
Où les syndics vont-ils trouver le courage de dire la vérité aux copropriétaires? Ne seront-ils pas tentés, encore, d’enfreindre la reglementation qui s’impose à partir du 1er juillet et de ne pas abandonner les vieilles habitudes des petites facturations? Les photocopies, la reprise et la transmission du dossier au prédécesseur ou au successeur, l’extranet, bref ces sources inépuisables de rémunération, ont la vie dure. Il faut relire le nouveau décret: il autorise, en-dehors du forfait comprenant les prestations prévisibles, deux types d’honoraires exceptionnels pour des services spécifiques: le suivi de travaux importants et la gestion d’un prêt collectif pour financer ces travaux.
Les enjeux sont autrement plus excitants à l’heure de la transition énergétique. Voilà une tâche à forte valeur ajoutée, loin du bricolage des petits services rendus et vendus toujours trop cher aux yeux des copropriétaires. Le ravalement de la façade ou la réfection d’une toiture assortis d’une isolation -la future loi Royal va rendre obligatoire la rénovation énergétique embarquée, à savoir la concomitance de travaux de mise aux normes énergétiques lors de travaux lourds sur l’immeuble-, le changement d’une chaudière, les audits préalables eux-mêmes, le prêt de plusieurs centaines de milliers d’euros pour permettre ces travaux, cela ressortit à de la gestion patrimoniale. D’ailleurs, l’Alur impose aussi qu’un plan pluriannuel de travaux soit désormais établi et qu’une épargne soit constituée au sein de la copropriété, pour préparer ces évolutions techniques de l’immeuble collectif.
Ne vaut-il pas mieux convaincre les copropriétaires d’engager 600 000 euros ou un million de travaux de rénovation énergétique, qui valorisent leur patrimoine et allègent leurs factures de dépenses de fonctionnement, exiger d’eux 2 % ou 3 % du montant des travaux pour en assurer le pilotage et le contrôle, plutôt que de facturer 0,40 euro la photocopie?
Ce n’est pas un changement de mode de facturation qui est en jeu, mais bien de conception du métier et de reconnaissance de sa valeur ajoutée. Il appartient aux ménages de copropriétaires de voir aussi les choses ainsi, dans l’intérêt de leur patrimoine.
Source : http://www.lavieimmo.com/