Comment agir contre les nuisances de voisinage ?
Que l’on soit propriétaire, locataire, que l’on habite en ville ou la campagne, chacun a été victime au moins une fois des nuisances occasionnées par son voisin. Nuisances sonores, olfactives ou gêne visuelle par la construction attenante, la liste est longue et inépuisable, à l’image de l’entreprise humaine. Désignés juridiquement sous le doux vocable de troubles anormaux du voisinage, ces nuisances ne sont, sauf exception, pas intégrés dans le corps législatif, mais laissés à l’appréciation des juges.
Les nuisances sonores
Qui n’a jamais été dérangé par la musique de son voisin après 22 heures ? Ou témoin (bien malgré lui) de scènes de ménage intempestives, à n’importe quelle heure de la journée ou de la nuit ? Chacun le sait, le bruit est un sujet qui fâche, et que l’on peut combattre en faisant appel à la justice, après avoir tenté successivement la compréhension, le dialogue ou même en être venu aux mains.
Quelle est la règlementation existante ?
Pour mesurer l’isolation phonique des constructions, on peut faire appel à des experts en application de l’article L 111-11 du code de la construction et de l’habitation. Il existe une référence, qui est le seuil de 5 décibels par jour , de 7 heures à 22 heures, et 3 décibels par nuit, selon le décret du 31 août 2006. C’est ce que l’on nomme les valeurs limites de l’émergence globale. Au-delà de ces valeurs, le trouble existe, et doit être sanctionné en tant que tel, qu’il soit nocturne ou diurne. Mais si ce type de trouble, qui est le plus fréquent en France, est souvent assimilé à la musique ou la dispute entre voisins, on connaît moins la pléthore de nuisances sanctionnées par le droit au titre des troubles anormaux du voisinage. C’est une jurisprudence très développée, et qui résulte de la consécration de ces nuisances en tant qu’atteinte au droit de propriété. Ce droit figure à l’article 544 du code civil.
Quels sont les troubles en question ?
Il ne suffit pas que le bruit existe pour pouvoir agir en troubles anormaux. Le trouble doit être anormal, c’est-à-dire excéder les limites de ce qui peut être supportable. La difficulté réside dans cette terminologie. Qu’est-ce qui est supportable, et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Il résulte du nombre d’actions qui ont abouti une casuistique impressionnante pour lesquelles le juge apprécie in concreto la situation. Les exemples sont multiples. Les aboiements provenant du chenil du voisin constituent un trouble anormal. Tout comme les bruits provenant d’un appartement : aspirateur, radio, vide-ordures, etc…(arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 3 janvier 1969). Le bruit d’une usine, d’un cinéma, ou le chant du coq sont des troubles anormaux. Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris a créé une jurisprudence sur « les pas et chocs sur un plancher ». Le fait de marcher sur un parquet bruyant de façon répétée est en effet une source importante de conflits entre copropriétaires. Pour les habitations situées à proximité d’aéroports, en revanche, « le simple fait » d’être situé à proximité (d’un aéroport) ne suffit pas à qualifier le fameux trouble.
Y a-t-il des limites à l’action juridique ?
L’action en troubles anormaux peut se heurter à des obstacles : l’antériorité de l’activité à l’installation du réclamant, la conformité de l’activité à la réglementation en vigueur, et certaines immunités spéciales (comme celle de l’article 112-16 du code de la construction et de l’habitation, réservé aux activités agricoles, industrielles ou artisanales.) Par exemple, on ne peut pas déduire l’existence de troubles de la simple inobservation d’une règle administrative, « sans avoir cherché s’ils avaient excédé les troubles normaux du voisinage » (arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation du 17 février 1993). Enfin, on ne peut pas alléguer une simple perte de tranquillité due au développement de la commune. Notre conseil : Rien ne remplace le dialogue, qui permet de résoudre beaucoup de situations, d’autant que le seuil de tolérance de ces troubles diffère selon les individus. Pour les copropriétaires, le syndic peut faire office de tiers. Si votre voisin fait la sourde oreille, une mise en garde par lettre recommandée avec accusé de réception (en gardant un double) peut avoir son utilité. En dernier recours, vous pouvez saisir le juge judiciaire, pour les troubles entre particuliers. Si un ouvrage public est en cours, le juge administratif sera compétent.
La Vue et les odeurs
Force est de constater que les nuisances sonores constituent la plus grande part de ce contentieux. Néanmoins, la gêne dépasse souvent le seul cadre du bruit. D’odeurs incommodantes à une privation de vue, en passant par toutes sortes de pollutions, les cinq sens peuvent être affectés par les troubles anormaux du voisinage. Dans tous les cas, l’article 544 du code civil trouve son application, car le droit de propriété est atteint.
Dans la même logique que tout dommage causé est source de réparation en droit, tout trouble constitue un dommage. Peu importe son « champ » de nuisance, il doit être arrêté. Il n’y a pas pour autant de notion de trouble objectif : le juge considère chaque affaire au cas par cas. La vue et l’odorat peuvent être affectés par l’activité du voisin, de façon occasionnelle ou répétée.
Les nuisances de vue, ou plutôt la privation de vue ?
Ou quand la construction faite par son voisin cause une perte d’ensoleillement notable. La jurisprudence est abondante sur les constructions qui, de par leur hauteur, gênent la propriété avoisinante. Le trouble consiste en la seule implantation du bâtiment par son voisin, qui, de facto, cause une baisse de luminosité. Un arrêt important en la matière est celui rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, le 30 septembre 1998. Il parle avec gravité de « dégradation des conditions de vie ». Dans ce cas, la construction causait une réduction de l’ensoleillement affectant les 7 pièces d’une même propriété. Un arrêt plus ancien rendu le 26 janvier 1993 avance même une relation de causalité entre la privation de vue et une éventuelle « dépréciation du fonds »voisin. Dans ces situations, le trouble est plus facile à déterminer, car il empêche littéralement les habitants de jouir paisiblement de leur bien.
La simple gêne esthétique peut-elle être sanctionnée ?
Certains cas sont plus difficilement qualifiables, comme la gêne esthétique. Si les actions en justice sont accueillies pour les dépôts de ferrailles et matériels usagés en limite de fonds ( arrêt de la 2ème chambre civile du 24 février 2005), il est plus difficile d’arguer un droit de vue sur la mer. En 2004, les propriétaires d’un lot, au sein d’un lotissement n’ont pas pu faire valoir ce droit, alors que la construction de villas à proximité allait les priver d’une vue sur la mer. Il s’agit alors de faire attention aux constructions futures. Le lotissement a la plupart du temps vocation à s’agrandir, l’acheteur doit bien se renseigner avant de procéder à l’acquisition du bien (sauf à faire jouer la responsabilité du professionnel qui lui a vendu le bien, qui a une obligation d’information).
Comment combattre les odeurs émises par le voisinage ?
Les émissions de poussières et fumées constituent un trouble anormal, selon un arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation du 22 octobre 1964. Les émanations d’usines, des rejets de gaz (arrêt de la Cour d’appel du 24 janvier 1973). Plus étonnant : il a également été considéré que le goût pouvait subir ce type de désagréments, une agueusie pouvant être causée par des émanations de poussière de ricin. La vie de la campagne offre son lot de nuisances. Ainsi un abri de poneys peut causer un double trouble : des hennissements désagréables, comme des émanations pénibles. Le cas d’école est la porcherie installée a proximité d’une habitation. Un des premiers jugements en la matière est celui de la chambre des requêtes, qui date du 5 décembre 1904, pour une jurisprudence constante depuis, avec un arrêt de 1997. L’entrepôt de fumier en bordure de propriété peut également nuire au fonds attenant. Attention néanmoins aux immunités spéciales, comme celle de l’article 112-16 du code de la construction et de l’habitation, réservé aux activités agricoles, industrielles ou artisanales. Elles restreignent l’action, car l’activité ne peut exister sans un minimum de troubles.
Notre conseil : Il ne s’agit pas de faire un procès à son voisin pour les odeurs dégagées par son barbecue. Les troubles dus aux odeurs doivent être répétés et le degré de leur persistance compte plus que pour les autres troubles. Le régime est identique pour tous les troubles : pour les copropriétaires, le syndic peut faire office de tiers. Si votre voisin fait la sourde oreille, une mise en garde par lettre recommandée avec accusé de réception peut avoir son utilité. En dernier recours, vous pouvez saisir le juge judiciaire, pour les troubles entre particuliers. Si un ouvrage public est en cours, le juge administratif sera compétent.
Les commerces
A ce stade, nous nous focaliserons sur la (parfois difficile) cohabitation entre les commerçants et leurs voisins non-commerçants. Le contentieux est très important, surtout en ville. Mais le juge est très protecteur des deux parties, et veille à l’intérêt de chacun, particulièrement dans ce conflit, dans lequel la profession des personnes est mise en cause.
Si les immeubles à usage d’habitation peuvent permettre la mise en place de commerces, la tolérance de certaines nuisances causées par ceux-ci est souvent mise à rude épreuve. Le voisinage d’un commerce peut en effet entraîner des nuisances sonores, visuelles ou olfactives. Les troubles sont aussi divers que les activités commerçantes sont variées. La jurisprudence sur les odeurs et bruits s’applique, de prime abord, à ce type de conflit : fumées, émanations, tapage… Néanmoins, le contentieux des nuisances commerçantes apparaît spécial en bien des aspects.
Quelles odeurs sont nuisibles ?
Un arrêt résumant à peu près tous les désagréments potentiels d’un commerce a été récemment rendu par la Cour d’appel de Paris, le 10 décembre 2009 : « Les désagréments, liés aux bruits d’un broyeur compacteur d’emballages de déchets et d’un moteur de ventilation frigorifique, aux va-et-vient permanents des camions de livraison, aux concerts répétés de klaxons, les déclenchements intempestifs de l’alarme du magasin d’alimentation, aux odeurs nauséabondes des déchets alimentaires en putréfaction, à la présence d’ordures répandues aux abords du magasin par des tiers ou personnes nécessiteuses, excèdent par leur nature, leur fréquence, leur permanence et leur importance les troubles admissibles de voisinage auxquels on peut s’attendre en zone urbaine, même à proximité d’un magasin d’alimentation de moyenne importance. » Tout est dit, ou presque. La Cour d’appel de Paris, en 1998, a du juger d’émanations issues d’une boulangerie, que d’aucuns qualifieraient d’agréables. Elles peuvent pourtant constituer un trouble, dans le cas « d’odeurs très fortes de nature à provoquer des nausées ».
Les restaurants sont-ils responsables des odeurs qu’ils dégagent ?
Un restaurant dégage des odeurs, par la nature de son activité. C’est un préjudice indemnisable, si le trouble résulte d’une modification non réglementaire des locaux (par une décision de la Cour d’appel de 1993). Un vendeur de gaufres a pu être condamné sur cette base également. Un arrêt de la 3ème chambre civile a refusé limiter l’activité du restaurateur à la vente de boissons et de sandwiches, et de lui interdire les préparations chaudes (plus odoriférantes), du simple fait que les copropriétaires se plaignaient des odeurs. Le juge doit toujours « établir le caractère anormal des nuisances constatées pour un commerce de restauration ». Cette décision est la conséquence indirecte de la protection très forte des commerçants. La liberté du commerce et de l’industrie est une valeur chère en France. Le Conseil constitutionnel lui a donné une valeur constitutionnelle, dans sa décision du 16 janvier 1982. On comprend donc que deux droits se confrontent : le droit de propriété et le la liberté du commerce.
Comment agir en contre des enseignes lumineuses gênantes ?
Les enseignes lumineuses et néons représentent une part importante du contentieux sur les troubles. Elles sont pourtant essentielles pour le commerce, car c’est ce qui attire le chaland. Sans enseigne, point de commerce, pourrait-on dire. C’est pourquoi le juge est extrêmement pointilleux à qualifier de trouble du voisinage la lumière projetée par une enseigne. Néanmoins, le juge peut demander sa suppression « lorsque par son ampleur et sa couleur, elle cause aux occupants d’un appartement de sérieux désagréments, résultant de la pénétration dans une pièce d’une vive lumière de couleur ». En centre ville, là même où se trouve concentrée la plupart des commerces, la Cour d’appel de Paris a refusé de voir dans le fonctionnement d’une pharmacie ouverte du matin jusqu’à 20 heures 30, une nuisance anormale. De même pour un commerce de restauration, car il n’avait pour« conséquence qu’une très faible modification de l’intensité lumineuse », selon un arrêt du 19 mai 2009 rendu par la Cour d’appel de Nîmes. Là encore, rien n’est tranché.
Notre conseil : Il s’agit d’être précautionneux dans la procédure. La discussion est toujours privilégiée, car elle suffit dans bien des cas d’apaiser la situation. Le recours au juge doit être vu comme le dernier recours, car les procédures sont longues, et les rapports de voisinage vont être amenés à se dégrader très rapidement.
Qui peut agir ?
Après avoir répertorié la multitude de nuisances qui entourent le voisinage à travers notre typologie (non-exhaustive) des dommages, nous allons nous intéresser à la question de savoir qui peut agir en justice, et contre qui on peut le faire. Le copropriétaire peut-il se plaindre d’un locataire qui fait trop de bruit ? Le locataire peut-il agir contre un autre locataire ? Ces questions se posent trop fréquemment, sans pour autant, nous semble-t-il, que les victimes de troubles anormaux du voisinage, sachent exactement quels sont leurs droits.
Afin de savoir quels sont les prétendants au droit d’agir, le droit a consacré les notions suivantes : l’intérêt et la qualité pour agir.
> L’intérêt doit être direct et personnel, selon l’article 31 du Code de procédure civile. > La qualité est le titre pour agir, cette dénomination recouvre la question « qui peut agir ? ». Les acteurs sont nombreux à avoir à la fois la qualité et l’intérêt pour agir.
Comment le propriétaire peut-il agir ?
Les propriétaires entre eux peuvent agir. Cela est indirectement établi par l’article 544 du Code civil : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue qui soit, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Mais quid du propriétaire qui n’occupe pas son habitation ? La réponse est donnée par la jurisprudence : « Un propriétaire, même s’il ne réside pas sur son fonds, est recevable à demander qu’il soit mis fin aux troubles anormaux de voisinage provenant d’un fonds voisin », indique un arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation du 28 juin 1995.
Le locataire est-il recevable ?
Le locataire peut agir, mais il est aussi responsable : il encourt même la résiliation du bail en cas de non-respect du règlement de copropriété par un excès de nuisances. Le propriétaire bailleur est également responsable de son locataire, par le truchement de la responsabilité du fait d’autrui issue du Code civil.
Quid des copropriétaires ?
Pour la copropriété, la loi du 10 juillet 1965 qui régit ce domaine, permet dans son article 15 un intérêt collectif à agir. Le copropriétaire comme le syndic sont ainsi recevables à agir contre les nuisances occasionnées par un tiers. En cas de trouble avec un locataire, le copropriétaire qui loue le bien à ce dernier est donc également responsable de ses actes, et peut donc être lui-même assigné. Un arrêt très global indique que « tous les occupants d’un immeuble en copropriété, quel que soit leur titre d’occupation », peuvent agir en justice sur ce fondement. (civ. 2ème, 17 mars 2005). De par un arrêt de la troisième chambre civile du 20 février 1973, « Le règlement de copropriété ne peut pas exonérer un copropriétaire de sa responsabilité à l’égard d’un autre pour trouble du voisinage ». Les copropriétaires peuvent donc agir les uns contre les autres.
Notre conseil : Si un copropriétaire reçoit des plaintes à l’encontre de son locataire, il doit l’en informer sans délai. Pour plus de sécurité, il doit porter à sa connaissance le règlement de copropriété qui mentionne la destination de l’immeuble (portant sur l’usage d’habitation, ou l’usage commercial, ou l’usage mixte de l’immeuble). En dernier recours, il peut lui donner congé, mais en mentionnant un motif légitime et sérieux : soit une explication des troubles qu’il cause et de son absence de réactivité pour arrêter ses nuisances.
Source : http://www.lavieimmo.com/
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